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« (…) Là, vous devrez descendre de moto et franchir la crevasse en passant sur le pont de rondins de bois (un peu comme Indiana Jones !). Ça tangue mais rassurez-vous, ce pont est certifié par l’Office National des Eaux et Forêts. Et puis, ce dernier petit effort en vaut la peine car une fois de l’autre côté vous aurez une vue imprenable sur le téléphérique des Grandes Jorasses. Ensuite demi-tour et encore le pont mais dans l’autre sens. Et vous récupérez la moto et c’est reparti. Cette fois, prenez le sentier à gauche et non pas à droite. C’est-à-dire celui qui était à gauche à l’aller mais vous avez pris celui de droite pour arriver au fameux petit pont de bois, donc là, vous l’avez à droite, ce sentier, donc cette fois vous prenez celui-ci. Les 15 km qui vous séparent du refuge se font en quelques heures, cela dépend de la vitesse.

Tâchez d’arriver au refuge avant la nuit car le chemin est vraiment de mauvaise qualité. Attention, en hiver ce sera impossible à cause de la neige. Pour l’anecdote, le refuge s’appelle « la maison basse » car le toit est très bas. Il y a une ambiance conviviale avec pas mal d’Espagnols du fait de la frontière pas loin. Beaucoup de Parisiens aussi. Le lendemain, ne partez pas trop tôt, prenez le temps de vous laver, de prendre un petit-déjeuner copieux (nous recommandons les tacos de foie de veau). Relax, c’est les vacances. Et le randonneur anxieux n’arrive à rien. Si vous êtes trop fatigué par l’excursion de la veille, n’hésitez pas à appeler un taxi, ils ne sont pas chers. Ainsi, vous arriverez à la gare en quelques minutes. Et voilà, vous avez fini votre tour de Provence. »

(extrait de La France des randonneurs / Tome 2 : Provence, Alpes et Région parisienne).

273

La rivière était profonde à cet endroit, et surtout large : la rive la plus proche se trouvait à vingt mètres. Mais cela ne constituait pas un obstacle insurmontable pour l’excellent nageur qu’il avait toujours été. Non, le pire, c’était le courant. Un courant violent qui jouait dangereusement avec sa force, décuplée par les pluies torrentielles des jours précédents, créant des remous et des tourbillons aussi implacables qu’imprévisibles.

Il lutta longtemps, plusieurs heures, se laissant parfois partir à la dérive sur quelques mètres lorsqu’il sentait ses forces sur le point de l’abandonner. Mais, chaque fois, il se reprenait et repartait de plus belle à l’assaut de cette masse d’eau mouvante qui le séparait de la terre ferme. Jusqu’à ce que, à la faveur du courant engendré par un rocher providentiel, et mettant toute son énergie dans un ultime effort, il s’arracha de l’élément liquide en un bond prodigieux, et retomba sur la rive, à bout de forces.

Jamais on n’avait vu un poisson aussi con.

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« Allons, ne sois pas de mauvaise foi, chérie, on avait dit pour le meilleur et pour le pire, et tu as signé, rappelle-toi, pour le meilleur ET-POUR-LE-PIRE ! »

Mais elle continuait de hurler sous le ruban adhésif industriel avec lequel il avait eu la présence d’esprit de la bâillonner (après l’avoir solidement ligotée sur l’établi que, ironie du sort, elle lui avait offert pour leurs vingt ans de mariage, quelques mois plus tôt), sans quoi ses cris n’auraient pas tardé à le rendre fou. D’autant qu’il venait à peine de terminer la première moitié de la jambe gauche et, avec ce modeste couteau suisse, flambant neuf qu’il fût, il fallait compter encore une bonne heure et demie de travail avant d’obtenir des morceaux suffisamment petits pour être jetés dans la poubelle, de façon à se défaire du corps discrètement.

« En même temps, elle n’a pas complètement tort, songeait-il à part lui, j’aurais dû commencer par la tuer. Mais quand même, on avait dit pour le meilleur et pour le pire. »

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Ouvrez vos yeux, éveillez votre conscience, et songez-y : avant ce jour, jamais dans l’histoire de l’Humanité on n’avait connu un 20 février 2015.

Et croyez-moi : c’est probablement le dernier 20 février 2015 qu’il nous est donné de vivre.

Demain nous évoquerons le 21 février 2015.

260

La malédiction du vendredi 13 n’est pas une légende : l’inspiration me fuit. Je suis incapable d’écrire quoi que ce soit d’acceptable dans ce blog. Je suis paralysé. Pétrifié.

Remarquez, ça aurait pu être pire : j’aurais pu écrire n’importe quoi.

Par exemple, j’aurais pu vous infliger une devinette : Monsieur et madame Atable ont un fils, comment s’appelle-t-il ? (Réponse : Vendredi-Treize). Bon, c’était juste un exemple.

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Monsieur Albert fut soulagé d’apprendre que les éditeurs ne lisent en général que les deux ou trois premières pages des manuscrits qui leur sont adressés par la poste. Voilà qui expliquait les refus répétés qu’il recevait depuis plus de vingt ans. C’est bien entendu ce paramètre déterminant qui l’incita à introduire une nouveauté de taille dès les premières lignes du soixantième tome des enquêtes du commissaire Albert.

C’était une matinée d’automne comme il y en a tant dans le département du Pas-de-Calais. Le soleil brillait mais les rayons qui en émanaient était stoppés nets dans leur course folle par des nuages de la couleur des cendres, ce gris qui est aussi celui de la blouse des écoliers des années cinquante. « Vraiment, songea le commissaire Albert, c’est un matin d’automne tout ce qu’il y a de plus banal ». Car il ne savait pas qu’un coup de théâtre retentissant et jamais vu dans la littérature française l’attendait aux alentours de la page 1067. Il alluma une cigarette et se prépara un café noir très serré.