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La foule était immense, des milliers d’hommes et de femmes rassemblés pour protester contre l’exploitation qu’ils subissaient, les salaires de misère, les cadences infernales, les heures supplémentaires non payées, l’humiliation quotidienne. Unis dans leur combat pour la dignité, car c’était au nom de la dignité qu’ils défilaient, fouettés par la pluie froide de décembre, ils auraient suffi à démontrer la grandeur de l’être humain, ces visages fermés où se lisaient la fatigue et la détermination. Ils auraient presque ému.

Heureusement, on comptait parmi eux soixante-quinze violeurs, neuf pédophiles, trois infanticides, deux tortionnaires ainsi qu’un assassin et sa complice.

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Son chien est mort de faim. Puis ses enfants. Puis sa femme. À la fin, il n’alimentait plus que son compte Facebook.

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« J’ai changé. »

On prononce généralement ces quelques mots sur un ton grave, conscient que quelque chose, là, est sérieux ; ou devrait l’être.

On est pourtant loin d’éprouver le vertige existentiel que recèle cette affirmation. Car, enfin, si je a changé, si je n’est pas le même… Qui parle ? L’autre ? De quel droit ? Et que fait-il ici ? Et qui était-il, déjà ?

Peut-être que, plus simplement, on n’a pas changé.