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Qui dira l’angoisse du blogueur devant l’écran vierge ? Moi. Par exemple, là, je n’ai rien à écrire donc je ressens une angoisse. C’est une sensation peu agréable, mes mains sont moites, mon ventre est noué et mes yeux fixent l’écran, hypnotisés, perdus. Je suis à la dérive.

Voilà. Je crois qu’il fallait le dire parce qu’on ne le dit pas assez. Et les gens ont le droit de savoir.

 

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Trébucher, moi ? Allons donc, et pourquoi pas tomber aussi, quel manque de confiance ! Je ne vois pourtant aucun obstacle sur ma route.

Justement…

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Qui dira le calvaire des chauves ? Moi. Le calvaire du chauve, c’est le coiffeur.

Je parle ici du chauve commun, c’est-à-dire du chauve qui ne l’est que partiellement et que l’on appelle aussi « chauve à la couronne ». Il se trouve que ces chauves ne sont pas tous des membres actifs du Fan Club d’Alain Juppé, lesquels sont plutôt fiers de leur ressemblance avec le personnage public ; on les reconnaît aisément, ils marchent droits dans leurs bottes et sans sourire. Mais les autres, les plus nombreux grâce à Dieu, bien conscients qu’une couronne capillaire ne possède pas le charme discret d’une couronne dentaire et qu’il est par conséquent impératif de faire disparaître ce pourtour disgracieux, doivent se résoudre à se faire raser le crâne intégralement. Cette contrainte esthétique n’est pas sans avantage, certes, puisqu’il est prouvé de longue date que l’homme à crâne lisse, quelque soit son âge, attire irrésistiblement les femmes sexuellement torrides et éloigne celles qui sentent l’ail et le chou.

Cependant, pour conserver son aspect céphalique impeccable (céphalique ne prends qu’un L tandis que phallique en a deux, c’est une loi de la nature), pour conserver son cuir crânien homogène donc, le chauve à couronne doit aller chez le coiffeur au moins une fois par semaine. Or quiconque a connu un coiffeur dans l’exercice de son vice sait combien il est difficile de s’accrocher à la vie dans ces moments-là et combien la foi est faible face à la torture. Qui peut prétendre supporter sans douleur son passage entre les mains d’un capilliculteur sans scrupule qui déverse sur lui et sans son consentement des flots de potins poisseux incrustés de perles de sagesse avariée ? Et finissons-en une bonne fois pour toute avec ce mythe, non, les chauves sourds ne sont pas épargnés par ce calvaire. La plupart des coiffeurs parlent en effet couramment le langage de signes, c’est assez flagrant pour que nous n’ayons pas à revenir là-dessus, il suffit d’observer. En fait, seuls les chauves sourds et aveugles sont à l’abri des coiffeurs ; ils sont à l’abri de bien des choses, à vrai dire.

Le chauve commun, lui, souffre en silence, et s’en va chaque samedi chez le meilleur ami de sa femme comme on va à l’abattoir. Et il n’est pas rare qu’il doive subir deux séances par semaine pour maintenir sa calvitie dans les normes du bon goût. Plus que la charge financière, pourtant lourde, que cela représente, les chauves se plaignent de la souffrance psychique induite par ce traitement. Ils finissent par s’habituer cependant, et devant l’indifférence de leur entourage, comprennent qu’il vaut mieux se taire.

Il n’en reste pas moins que les statistiques du Ministère de la Santé sont formelles : en France, un homme chauve a quarante fois plus de chances de mourir chez son coiffeur qu’un homme chevelu.

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Vas-tu enfin lâcher tes maux ?
N’y pensons pas non pas question.
Mais pourquoi remâcher tes maux ?
J’aime trop les consolations.

 

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Me noyer dans un verre d’eau, moi ?

Pensez donc, aucun risque, j’ai justement appris à nager dans un verre d’eau.

Et même, je suis né dans un verre d’eau !

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« Et puis tu vois, ce qui est chouette avec les enfants, c’est leur spontanéité. C’est bien simple, un enfant ça calcule pas. »

Certes.

« Papa, tu me donnes un bonbon s’il-te-plaît!
– D’accord mais juste un.
– Oui, juste un, et un autre.
– OK, un autre mais c’est le dernier.
– D’accord, un autre et puis un dernier. »

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«  Tu as vu chérie, j’ai lavé les rideaux !
− Oui ça se voit.
− Oh, pas tant que ça. Bon ils étaient un peu poussiéreux, c’est vrai, mais de là à dire que… Ils n’ont pas changé de couleur non plus, ils étaient beige et ils sont beige, un peu plus clair peut-être, et encore… Remarque, moi je trouve qu’ils sont plus éclatants mais c’est parce que c’est moi qui les ai lavés aussi, c’est normal.
− Si, je t’assure, ça se voit.
− Ah oui ? Tu as vraiment remarqué un changement ? Tu dis ça pour me faire plaisir. Bon, c’est vrai, en les voyant pendus de nouveau à leur place, d’ailleurs c’est du boulot, ça, c’est long à accrocher dis donc, crochet par crochet à trois mètres de haut, bref, en les voyant là, en plein soleil, pour moi c’était clair qu’il y avait une différence, mais je croyais que c’était juste une impression, que c’était psychologique en quelque sorte. Bon, c’est vrai qu’ils ont gagné en éclat, ils étaient devenus un peu ternes. Oui, on voit bien qu’ils ont été lavés, tu as raison.
− Bien sûr que ça se voit, ils sont tout froissés. »

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Le débutant s’empresse de balayer le plancher aussitôt terminé le déjeuner pour faire disparaître les mille et une miettes de pain, poulet et petits pois, semées là par les enfants. Louable débauche d’énergie partant d’une non moins louable intention fondée sur des principes élémentaires d’hygiène ou simplement sur la crainte raisonnable des commentaires contondants d’une belle-mère invitée à dîner ce soir-là. Mais l’homme d’expérience qui goûte l’approche scientifique des choses de la vie sait qu’il est tout aussi efficace de simplement attendre.

Il peut en effet compter sur la forte probabilité qu’à un moment ou l’autre de l’après-midi les enfants se mettent à courir autour de la table. Cette probabilité est d’autant plus élevée que le contexte environnemental est favorable, les conditions idéales étant la conjonction « absence de jardin+pluie ».

Les enfants vont donc courir autour de la table de leur foulée rapide et saccadée durant dix à trente minutes. C’est la durée nécessaire et suffisante pour que la force centrifuge générée par cette poursuite infernale projette les miettes aux quatre coins de la pièce, les faisant ainsi disparaître de la vue de n’importe quelle belle-mère normalement constituée.