213

J’étais à deux doigts de t’aimer
Tu as souri si joliment
Tes cheveux flottaient dans le vent
Ta robe aussi indécemment
J’étais à deux doigts de t’aimer

Je n’en revenais pas de voir
De si beaux yeux posés sur moi
Terne et triste informaticien
Sans charme et sans espoir sans rien
J’étais à deux doigts de t’aimer

Mais c’est à lui que tu souriais
Le beau gosse Hugo Boss derrière
Brushing bon genre et chevalière
J’étais à un doigt de t’aimer
Mais je me l’étais mis dans l’œil

212

« (…) Le randonneur adulte qui ne craint pas de sortir des sentiers battus pourra alors couper par le sud-est au fond à gauche, juste après la statue équestre du connétable Chevillard partant pour les Croisades (cf. annexe 33 au sujet de l’histoire rocambolesque de cette statue), puis, en prenant garde de ne pas déraper sur les galets, particulièrement glissants à cet endroit, longer la faille dite « de la dame bleue » jusqu’au refuge de la Mère Suzanne, laquelle se fera un plaisir d’offrir au touriste égaré une tasse de sa fameuse tisane de gentiane. Le voyageur fourbu risque de très peu dormir car les parages sont bruyants du fait de la construction nocturne du TNA (Tunnel de la Nouvelle Autoroute), chantier titanesque initié en 1981 dont l’achèvement est prévu pour mai 2024.

Le lendemain, il est fortement conseillé de se lever avant l’aube et de quitter le refuge entre 5h00 et 6h00 afin de profiter de la fraîcheur des premières heures du jour. L’ascension du Mont Gris se fait en descendant à reculons sur près de 3 000 mètres jusqu’à déboucher sur la plaine où les Ardennes se jettent dans la Champagne en un spectacle digne d’un son et lumière de Pink Floyd. Au printemps, le promeneur non prévenu sera surpris de la quantité de crabes entassés sous les chênes millénaires du Vaudois. Nous le renvoyons à l’annexe 34 pour plus de détails sur cette tradition régionale étrange. En été il n’y a rien de spécial à voir. En automne, l’aventurier attentif saura déceler parmi les hennissements des chevaux sauvages le chant de la bergeronnette cendrée. En hiver, s’il est chanceux et suffisamment discret, le voyeur expérimenté pourra observer en silence le spectacle rare d’un officier nazi sodomisant une cantatrice russe. Ponctuée de râles rauques et de trilles enchanteresses, la scène enivrante nous réconcilie avec le miracle de la vie.

Ensuite, reprendre le périphérique jusqu’à l’A12. Péage de 43 euros. Bistrot au kilomètre 284, avec un petit muscadet pas mal. Attention aux flics. »

(extrait de La France des randonneurs / Tome 1 : Champagne-Ardenne et autres).

211

Le verdict était sans appel. Reconnu coupable de harcèlement sexuel pendant plus de dix ans sur la personne consentante et multi-orgasmante de son épouse, Monsieur Albert était condamné à trois enfants, assorti d’une période de sûreté de vingt ans.

En cas de récidive, une peine additionnelle était prévue, pouvant aller jusqu’à trois paires de jumeaux fermes.

210

Nos chairs ne pourriront qu’après la mort
Mais l’odeur l’odeur viendra d’abord
Il était berrichon elle était limousine

Il aimait ses nichons elle adorait sa pine
Puis les vers glissant en escouades sur nos corps
Des vers à l’intérieur grouillant bientôt

Elle le suçait divinement
Il la léchait avidement
Les vers et très vite les larves

Elle jouissait à cheval sur lui lui en elle
C’était sauvage et naturel
La vie des vers la vie des larves

La vie ! La vie ! La vie !

208

C’était un paquebot
Qui n’était pas que beau
Il était aussi rose

C’est que son capitaine
Un vieux croquemitaine
Avait dit un jour j’ose

Peindre mon paquebot
De la couleur des roses
Car j’aime Marie-Rose

207

Après la révélation fracassante que j’ai faite ici-même le 13 novembre dernier, l’Académie française s’est vue contrainte de modifier ses statuts. Désormais, tout nouveau candidat à un siège devra préalablement prouver son immortalité.

Une révolution Quai Conti ? Finkielkraut se veut rassurant : « C’est vrai que la procédure de vérification des candidatures va durer beaucoup plus longtemps… Mais en même temps, il faut bien voir que l’Institution en sort renforcée. Surtout que, à terme, ça veut dire qu’on aura que des vrais immortels, donc on n’aura plus besoin de recruter des nouveaux. C’est juste la période transitoire qui va être un peu compliquée finalement. »

206

Je mourrai certainement avant de connaître précisément l’étendue de mon ignorance.

J’en ai une vague idée cependant. Si je fais abstraction des quelques brins de connaissance dont je dispose, et que l’on peut considérer comme statistiquement négligeables, l’étendue de mon ignorance doit ressembler, grosso modo, à l’infini.

Maintenant, si on veut avoir une idée du volume de mon ignorance, ça doit faire dans les… mmmhh… étendue infinie… donc le volume c’est infini x infini… comme ça, en calculant de tête… ça fait un paquet, voire un tera-paquet.

Voilà, on progresse, on a déjà l’étendue et le volume. Reste plus qu’à déterminer la nature de l’ignorance.

Ça, je sais pas.

205

1

Longue avenue sans putes ni platanes
Long boulevard et au bout le café de la gare
Et la gare
Il pleut
Impression de bout du monde c’est la province à l’aube
Trempé j’entre et commande un café au bar
Un sifflement moqueur dans mon dos des applaudissements
Pessoa Rimbaud et Calaferte sont arrivés avant moi
Ils sourient faussement navrés
Pessoa sort de sa poche quatre billets de première classe
Ils se lèvent nous traversons l’avenue boulevard
La gare n’est guère plus que deux quais et une guérite
Le soleil disperse les nuages
Arc-en-ciel bon augure

Le voyage est rapide des Ardennes à Berlin
Puis lent de Berlin à Moscou
Calaferte dort la bouche ouverte
Rimbaud chantonne
Pessoa blague en anglais

Je demande la différence entre avenue et boulevard
Rimbaud répond c’est pas le même mot
Magnifique paysage
Ou magnifiques paysages
On ne sait même pas combien et d’abord où commence
Et où termine un paysage

Moscou enfin et sous la neige déjà
Plotin nous attend sur le quai
Il me demande combien de paysages as-tu vus

Aucune nouvelle de Jerry Cornelius

204

L’hiver fut particulièrement rude. Déjà affaiblis par la canicule quelques mois plus tôt, les bouffe-curés subirent de plein fouet l’inclémence du climat du mois de décembre. Cela faisait des années que les associations de protection de l’environnement attiraient l’attention des autorités sur la menace que faisait peser sur cette espèce la pénurie de curés en France. Sous-alimentés, les bouffe-curés étaient particulièrement vulnérables aux rigueurs du climat.

Face à l’indifférence des pouvoirs publics, Robert Marx, président de l’Association française de sauvegarde des bouffe-curés lança un vibrant appel, en ouverture du JT de 20 heures du 31 décembre. « Alors que nous nous apprêtons à réveillonner, les derniers bouffe-curés de France sont en train de disparaître, sous nos yeux. À moins de deux heures de train de Paris, il y a des bouffe-curés qui meurent de faim… Monsieur le Président de la République, Madame la Première ministre, Aidez-nous ! »

À trois mois des élections législatives, l’appel fut entendu et  le gouvernement investit rapidement plusieurs millions d’euros dans la construction d’abris pour les bouffe-curés et lança, sous le patronage de la Première Dame, une campagne nationale de collecte de dons : « Un sourire pour un Bouffe-curé ». De nombreuses initiatives citoyennes se joignirent à l’effort du gouvernement. Ainsi, la Chorale de Enfants du Parti Communiste Français entama une tournée d’un mois pour réunir des fonds supplémentaires, tournée qui culmina avec un concert à l’église Saint-Germain l’Auxerrois en présence du Dalaï Lama. Les dons affluèrent de toutes parts. Le 16 février, jour de l’inauguration de la première CAB (Cabane à Bouffe-curés), fut déclaré « Journée nationale du bouffe-curé ». De nombreuses autres CAB entrèrent en service dans les semaines qui suivirent. Ces abris, comprenant un dortoir, des sanitaires et un réfectoire, offraient aux bouffe-curés, deux fois par jour, des repas constitués de cierges et d’eau bénite importés du Vatican grâce aux fonds récoltés par les nombreuses initiatives publiques et privées.

Les experts s’accordaient cependant pour dire que, faute d’une réflexion raisonnée et d’une action concertée prenant en compte l’ensemble de l’écosystème des bouffe-curés, ces efforts ponctuels ne suffiraient pas à garantir la survie de l’espèce à long terme.