« C’était mieux avant.
─ Cent fois mieux !
─ L’avenir était devant nous, tellement immense, léger, sans nuage.
─ Mille fois mieux avant !
─ Et puis, on n’avait pas tout ce passé à porter, si lourd… Foutu passé !
─ Mieux avant ! »
Mois : avril 2014
83
« On peut être doué et avoir du talent, c’est pas incompatible. »
« Mieux vaut trop que pas assez, sauf pour le cholestérol et les ennuis en général. »
« Je préfère avoir des problèmes d’argent que des problèmes de pas d’argent. »
« Les riches ne seraient pas moins malheureux s’ils étaient pauvres. »
« C’est quand on est vivant qu’on peut se plaindre. Après, il est trop tard. »
82
Les Témoins de Jéhovah m’ont fait parvenir une brochure didactique expliquant sous forme de bande dessinée ce qu’il adviendra de moi après ma mort. Donc, voici. Une fois mon corps enterré, mon âme s’en détachera et rejoindra le ciel. Pour les néophytes, je précise que l’âme ressemble énormément à un corps humain mais transparent et impalpable. Elle est néanmoins dotée de facultés sensorielles lui permettant au moins de voir et d’entendre ; elle est également douée de conscience.
Bref, je reprends : mon âme rejoindra le ciel. Là, elle sera accueillie par un ange qui la conduira dans une sorte de cinéma céleste. Placé face à un écran géant je devrai (je me permets de dire « je » car, après tout, mon âme c’est moi), je devrai visionner l’intégralité de ma vie, c’est-à-dire une succession de milliards de milliards d’actions, bonnes et mauvaises, se succédant sur une période de plus de trente-huit ans, et très probablement, j’ose l’espérer, sur une période beaucoup plus longue, proche de quatre-vingt-dix ans. À la fin de cette très, très longue projection, je ne pourrai que sangloter abondamment, écrasé sous le poids de la mauvaise conscience. Il est à noter que si je change mon mode de vie dès aujourd’hui, en obéissant à certains préceptes judicieusement choisis, je serai très certainement en mesure d’affronter l’épreuve du cinéma céleste sans trop de dommages.
Je dois dire que si les Témoins de Jéhovah ne m’ont pas complétement convaincu de rejoindre leurs rangs, leur objectif est tout de même partiellement atteint car ils m’ont détourné une bonne fois pour toutes du Bouddhisme. En effet, je m’imagine mal regarder un film dont le personnage principal, fût-il moi, demeure assis à méditer en silence durant plus quarante ans.
81
Il avait un cœur d’artichaut
Elle possédait un cœur de pierre
ll lui offrit son cœur tout chaud
Elle le donna à l’épicière
Qui le vendit pour pas bien cher
À un couple de tourtereaux
Rentrés chez eux ils le mangèrent
Et leur amour dura toujours
80
Le squelette, oui, si vous voulez, c’est du solide. Mais sans la complaisante et néanmoins obstinée souplesse de la peau, tout foutrait le camp.
Mon ami Achille s’est encore blessé au talon ; c’est la cinquième fois cette année. Il faut dire que le talon d’Achille d’Achille, c’est le talon.
Le corps mourant sombre dans les draps blancs, le cormoran dans la marée noire.
79
Je n’ose plus toucher certains de mes livres depuis que j’ai surpris leur conversation l’autre nuit…
La Bible : Enfin, il m’a ouverte ! Cela faisait quatre ans que j’attendais ça… Il m’a lue toute la Genèse, toute ! Le Ciel, la Terre, Adam et Ève, Noé, Abraham, Isaac, Jacob… Pas mal, non ?
Le Robert : Pavane pas, ma vieille, s’il t’a remise à ta place c’est que tu l’as fatigué, peut-être même écœuré.
Larousse : Mais non, ne l’écoute pas ma chérie, il est jaloux, c’est tout ! Il est sur le déclin, le pauvre. Ça fait longtemps que tu n’es plus consulté, hein, mon petit Robert ? Il y a tout sur Internet maintenant, pas vrai ?
Le Robert : Oh, toi, Larousse, si tu n’avais pas tes pages roses, tu ne prendrais pas souvent l’air.
Larousse : Hé oui mon grand, c’est ça le sex appeal. Dis donc, la Bible, c’est ça que tu devrais faire pour que le patron te reprenne : un petit numéro de charme. Ce soir, quand il passe devant toi, tu te laisses tomber et quand il se baisse pour te ramasser, hop, tu t’ouvres à la page la plus chaude du Cantique des cantiques.
Le Robert : Mmmh, le Cantique des cantiques… Tu me donnes des idées, belle semeuse, rapproche-toi que je hume ta rousse chevelure de lionne sauvage, allez, viens, qu’on s’aime à tout vent…
Larousse : Moins fort, Robert, tu vas réveiller le Littré.
78
Il n’existe pas de politicien si conservateur qu’il ne change de mensonges au moins une fois par an.
77
On me demande pourquoi il y a si peu de gauchers sur Terre. Sélection naturelle, tout simplement.
On sait que la coutume de se saluer en se serrant la main remonte à une période très lointaine, le paléolithique supérieur, et que cette forme de salut n’était alors pas du tout symbolique mais bel et bien pratique. En effet, c’était la meilleure façon de montrer qu’on venait désarmé tout en vérifiant que son vis-à-vis ne dissimulait pas lui-même une pierre dans sa main (il y a 30 000 ans, l’homo sapiens se battait avant tout à coups de pierre ou de silex).
Le fait est qu’on se serrait la main gauche (probablement parce que c’est le côté du cœur). Du coup, les droitiers avaient un avantage considérable : présenter la main gauche ne les empêchait pas de dissimuler un silex dans la main droite et, au moment de serrer fortement la main gauche de son adversaire, le droitier pouvait, d’un vif crochet du droit, planter son silex dans la tempe ou la gorge du pauvre gaucher pris au dépourvu. On estime qu’environ mille ans furent suffisants pour éradiquer la majorité des gauchers de la planète. Une bien triste leçon d’humanité quand on y pense.
76
Très sérieux, mon voisin m’explique que les enfants ont avant tout besoin d’être encadrés. D’ailleurs, il a inscrit les siens aux Scouts de France et compte bien les envoyer à l’armée dès qu’ils auront passé le brevet des collèges. Si tout le monde faisait comme lui, on n’en serait pas là (je comprends que « là » signifie le chômage, les impôts, l’homosexualité, ses soucis de prostate et la mauvaise haleine de sa femme). « Vous comprenez, la seule chose qu’a besoin un gamin, c’est un CADRE. » Et, usant de ses mains comme de couperets de boucherie, il trace dans l’air un rectangle pour que je comprenne bien ce qu’est un CADRE (il sait bien que je n’ai pas fait mon service militaire).
C’est alors que je comprends pourquoi mes enfants auraient du mal à tenir dans un CADRE : ils sont en trois dimensions.
75
Moi : Ian ! On ne mange pas avec les mains !
Ian : Mais je ne mange pas avec les mains, je sépare.
Effectivement il ne mangea pas et, à la fin du repas, c’est une assiette pleine qu’il nous remit, le poisson soigneusement séparé de sa sauce et des haricots verts.