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On sait finalement fort peu de choses sur la mort.

Quand commence-t-elle ? La thèse couramment admise est que la mort commence à l’instant précis où cesse la vie. Thèse erronée car, en réalité, vie et mort commencent en même temps. Seulement, la mort croît à un rythme beaucoup plus lent que la vie. Et, en règle générale, la vie est plus bruyante que la mort. Du coup, la mort passe inaperçue durant de longues années, et quand enfin on l’a sous les yeux, on a l’impression qu’elle surgit de nulle part. Alors qu’elle était déjà là, attendant poliment son tour.

Combien de temps dure-t-elle ? A priori, assez longtemps. Exemple : Platon, cela fait 2362 ans qu’il est mort ; c’est beaucoup plus qu’une vie moyenne. Cela dit, on manque d’information précise. Ainsi, on ignore quand termine la mort.

La mort est-elle agréable ? Contrairement au préjugé le plus répandu, il semble que la mort soit plus agréable que la vie. En effet, on n’a vu aucun mort se plaindre de sa situation au point de préférer un retour à la vie. Certes, on a encore en mémoire le retour de Jésus Christ après trois jours de mort mais ce n’était que pour une brève visite de courtoisie, il ne s’est pas attardé.  Hormis cette exception, les morts ont tendance à négliger les vivants.

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La chance est une notion somme toute très relative.

C’est bien ce que conclut Monsieur Albert après avoir constaté que l’impressionnante gerbe provoquée par la chute de sa gourmette porte-bonheur dans son bol de crème au chocolat n’avait miraculeusement atteint ni sa chemise ni sa cravate, mais n’avait pas manqué de moucheter d’une multitude de taches marron l’impeccable pantalon de survêtement blanc de monsieur Tony, triple champion du monde de kick-boxing qui passait à côté de sa table à ce moment, furieux d’avoir appris par la presse que sa femme le trompait avec son entraîneur.

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Mon ami Jean-Claude devient nerveux à l’approche de son anniversaire. Il admet qu’il y a probablement un fond de superstition dans cette angoisse mais il me fait remarquer que les chiffres ne lui donnent pas complètement tort : on ne compte plus les gens qui meurent dans l’année qui suit leur anniversaire, une véritable hécatombe.

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On n’imagine pas non plus la justesse d’expression dont est capable un enfant quand il s’agit de décrire des émotions, notamment des émotions musicales.

Ian (5 ans) écoutant un disque en voiture : « Vincent Delerm, quand il chante on dirait qu’il est content… (il réfléchit)…  C’est que, sa voix, on dirait qu’elle fait un sourire en chantant. »

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On n’imagine pas à quel point ce qui nous paraît être une part négligeable et facultative dans l’héritage culturel de l’humanité peut laisser une trace indélébile dans l’esprit d’un enfant, au point de constituer pour lui une référence fondamentale, le socle sur lequel s’érigera sa façon propre de voir le monde, l’expérience initiale et fondatrice à partir de laquelle tout sera évalué et jugé.

Ian (5 ans) : « La nouvelle maîtresse elle a la même coiffure que Joe Dassin. »

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« Peugeot va créer 200 emplois dans son usine de Mulhouse. »

L’idée initiale était de créer des automobiles mais finalement on a préféré créer des emplois.

Drôle d’idée ? Ne vous y trompez pas, voilà au contraire une stratégie non dénuée d’arrière-pensées, fruit des plus profondes réflexions de la fine fleur des professionnels de la communication au service de l’industriel français. En effet, créer des emplois est très bien vu par les temps qui courent et constitue sans conteste la meilleure façon de se forger une bonne image de marque dans l’opinion publique. La réaction en chaîne est alors inéluctable. D’abord circonspect, le consommateur moyen finit par fléchir. Pensif, il hoche la tête : il doit bien admettre que le constructeur contribue au bonheur général. Ému par tant de bonté, il cède à son impulsion, sort sa carte de crédit, et achète une voiture.