236

Dieu est mort Dieu est mort
Ou bien alors il dort
Ou alors il s’en fout
Pourquoi ne vient-il pas
Avec plein de bonté
Tout plein de charité
Rayonnant bienveillant
Dieu qu’il en met du temps

Alors en attendant
Ici-bas on s’affaire
À construire un enfer
Hier aujourd’hui et demain
Un enfer à visage humain

Dieu est mort Dieu est mort
Ou bien alors il dort
Comment le réveiller
Faut-il que l’on blasphème
Faut-il brûler un cierge
Dans le cul de la Vierge
Ou faut-il que l’on s’aime
Prions prions mes frères
Prions prions mes sœurs

Et puis ne prions plus
Parlons peu parlons cul
La foi que l’on professe
Vaut peut-être une messe
Mais rien de ne vaut tigresse
La douceur de tes fesses
Aimons en chœur aimons encore
Aimons en cœurs aimons en corps
Car qui sème l’amour
Récolte les caresses

229

Écoute-moi quand je te parle
On t’appelle aujourd’hui Judith
On dit
Jeune déesse aux cuisses accueillantes
Mais demain n’est pas loin
Où l’on dira
Tiens voilà Valériane
Vieille peau pleine de souvenirs
Écoute-moi enfin quand je te dis
Le défunt roi du Honduras
N’a jamais lu ni ne lira Duras
Écoute-moi un peu mignonne
Allons voir si la rose
Et vite

 

228

3

Plus rien à faire à Moscou et le rouble s’effondre
Nous apprenons que l’Étoile et la Belle Poule croisent au large de Saint-Pétersbourg
Calaferte ira y faire un tour on ne sait jamais
Et rien de plus vrai on ne sait jamais
Jamais vraiment
On n’a pas idée non plus de l’ampleur de ce qu’on ignore
On imagine seulement que c’est colossal

Imaginer c’est ce qu’on fait de mieux mon vieux
Me dit Pessoa dans le train pour Paris
Le chemin de fer est long donc le train est lent
Par conséquent on a le temps
Alors pendant que Plotin commente la prière de Saint-Éphrem
Rimbaud rédige un hommage à la vie longue de Michel-Eugène Chevreul
Quant à moi je me sens soudain seul
Éloigné de celle que j’aime

Combien de douanes où déclarer
Non je n’ai rien à déclarer
De tous les êtres de la nature
C’est l’humain le plus lent aux frontières
Le seul qui possède un passeport

Aucune nouvelle de Jerry Cornelius

218

2

C’est l’hiver moscovite
Un froid sans état d’âme sans pitié
Tu n’as pas d’âme pas d’âme pas d’âme dit-il
Ton corps voilà la vérité
C’est vrai j’ai froid je souffre et j’oublie tout le reste
J’oublie que le temps passe et ma vie avec
Mais j’ai vécu bien vécu dans mon bureau quelle bonne idée
J’ai froid et je délire
Loi du corps la douleur

C’est Plotin qui invite
La vodka le caviar la vodka
Nous buvons à la vie de bureau Rimbaud rit
Vivre assis c’est déjà ça
C’est pas mourir debout certes mais pas vivre à genoux non plus dis-je
Vivre assis Rimbaud rit

Aucune nouvelle de Jerry Cornelius
Demain nous irons au KGB

Nous y voilà suivis de sbires évidemment
Pessoa et moi passons munis de nos cartes d’employés de bureau
Calaferte est refoulé
Youri nous reçoit bienvenus chez moi en écartant les bras
J’ai vu le Major Grubert nous dit-il mais Jerry Cornelius non
Nous sortons c’est la nuit

Qu’as-tu fait Calaferte
J’ai lu le blog d’Alain Juppé
Allons retrouver les copains j’ai faim

213

J’étais à deux doigts de t’aimer
Tu as souri si joliment
Tes cheveux flottaient dans le vent
Ta robe aussi indécemment
J’étais à deux doigts de t’aimer

Je n’en revenais pas de voir
De si beaux yeux posés sur moi
Terne et triste informaticien
Sans charme et sans espoir sans rien
J’étais à deux doigts de t’aimer

Mais c’est à lui que tu souriais
Le beau gosse Hugo Boss derrière
Brushing bon genre et chevalière
J’étais à un doigt de t’aimer
Mais je me l’étais mis dans l’œil

210

Nos chairs ne pourriront qu’après la mort
Mais l’odeur l’odeur viendra d’abord
Il était berrichon elle était limousine

Il aimait ses nichons elle adorait sa pine
Puis les vers glissant en escouades sur nos corps
Des vers à l’intérieur grouillant bientôt

Elle le suçait divinement
Il la léchait avidement
Les vers et très vite les larves

Elle jouissait à cheval sur lui lui en elle
C’était sauvage et naturel
La vie des vers la vie des larves

La vie ! La vie ! La vie !

205

1

Longue avenue sans putes ni platanes
Long boulevard et au bout le café de la gare
Et la gare
Il pleut
Impression de bout du monde c’est la province à l’aube
Trempé j’entre et commande un café au bar
Un sifflement moqueur dans mon dos des applaudissements
Pessoa Rimbaud et Calaferte sont arrivés avant moi
Ils sourient faussement navrés
Pessoa sort de sa poche quatre billets de première classe
Ils se lèvent nous traversons l’avenue boulevard
La gare n’est guère plus que deux quais et une guérite
Le soleil disperse les nuages
Arc-en-ciel bon augure

Le voyage est rapide des Ardennes à Berlin
Puis lent de Berlin à Moscou
Calaferte dort la bouche ouverte
Rimbaud chantonne
Pessoa blague en anglais

Je demande la différence entre avenue et boulevard
Rimbaud répond c’est pas le même mot
Magnifique paysage
Ou magnifiques paysages
On ne sait même pas combien et d’abord où commence
Et où termine un paysage

Moscou enfin et sous la neige déjà
Plotin nous attend sur le quai
Il me demande combien de paysages as-tu vus

Aucune nouvelle de Jerry Cornelius

196

Il y a dans la rue
des inconnues qui sont belles de dos
chevelure chute de reins démarche
tout invite à la levrette

On caresse l’idée l’idée seulement
en rêvant au délice doux supplice
on évite de marcher trop vite
on se dit
belle de dos belle éternellement

Et puis on oublie
en écrivant
au bureau