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Je ne saurais trop vous conseiller de visiter le Musée du Jeu de Pommes où est exposée actuellement une rétrospective consacrée au peintre bulgare Blöd Job (1955-2011). Artiste incompris dans son pays d’origine, il devient un mythe vivant dans les années 80 après son passage à l’Ouest, notamment grâce à sa série de tableaux en terre cuite jetés dans la Cour Carrée du Louvre depuis un U.L.M. (technique du tile dropping). Ses positions extrêmes lui valent cependant de solides inimitiés dans le milieu culturel. Au début des années 90, les échecs successifs de ses expositions à  Milan, Londres puis New-York le poussent à se retirer dans un petit village d’Anatolie, loin de l’effervescence artistique internationale. Cette période de mutisme de près de dix ans contribuera à forger son image d’artiste sans concession. Il ne cesse pourtant pas de travailler et son retour sur le devant de la scène au début des années 2000 avec une production basée sur une démarche complètement renouvelée est accueilli avec enthousiasme par les jeunes générations qui l’acclament et font de lui le chef de file incontesté de la Nouvelle Peinture. Il meurt prématurément d’une cirrhose en 2011, au sommet de sa gloire, laissant une œuvre estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars.

Ci-dessous, un de ses derniers tableaux, issu de la série Mutations.

Mutation du bipède en bipad

 

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Quand l’humour se fait lucide, au point d’éclairer la source la plus profonde du rire, qui est la peur, on dit qu’il est noir.

Pourtant, ce n’est pas tant l’humour qui est noir, c’est surtout la pièce où il nous pousse qui est sombre ;  lui nous éclaire.

(Et puis, est-il correct de dire humour noir ? Ne devrait-on pas plutôt dire humour black ou humour de couleur ou humour issu de la diversité ? Ah ! Encore la peur…)

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Qui dira l’angoisse du blogueur devant l’écran vierge ? Moi. Par exemple, là, je n’ai rien à écrire donc je ressens une angoisse. C’est une sensation peu agréable, mes mains sont moites, mon ventre est noué et mes yeux fixent l’écran, hypnotisés, perdus. Je suis à la dérive.

Voilà. Je crois qu’il fallait le dire parce qu’on ne le dit pas assez. Et les gens ont le droit de savoir.

 

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Qui dira le calvaire des chauves ? Moi. Le calvaire du chauve, c’est le coiffeur.

Je parle ici du chauve commun, c’est-à-dire du chauve qui ne l’est que partiellement et que l’on appelle aussi « chauve à la couronne ». Il se trouve que ces chauves ne sont pas tous des membres actifs du Fan Club d’Alain Juppé, lesquels sont plutôt fiers de leur ressemblance avec le personnage public ; on les reconnaît aisément, ils marchent droits dans leurs bottes et sans sourire. Mais les autres, les plus nombreux grâce à Dieu, bien conscients qu’une couronne capillaire ne possède pas le charme discret d’une couronne dentaire et qu’il est par conséquent impératif de faire disparaître ce pourtour disgracieux, doivent se résoudre à se faire raser le crâne intégralement. Cette contrainte esthétique n’est pas sans avantage, certes, puisqu’il est prouvé de longue date que l’homme à crâne lisse, quelque soit son âge, attire irrésistiblement les femmes sexuellement torrides et éloigne celles qui sentent l’ail et le chou.

Cependant, pour conserver son aspect céphalique impeccable (céphalique ne prends qu’un L tandis que phallique en a deux, c’est une loi de la nature), pour conserver son cuir crânien homogène donc, le chauve à couronne doit aller chez le coiffeur au moins une fois par semaine. Or quiconque a connu un coiffeur dans l’exercice de son vice sait combien il est difficile de s’accrocher à la vie dans ces moments-là et combien la foi est faible face à la torture. Qui peut prétendre supporter sans douleur son passage entre les mains d’un capilliculteur sans scrupule qui déverse sur lui et sans son consentement des flots de potins poisseux incrustés de perles de sagesse avariée ? Et finissons-en une bonne fois pour toute avec ce mythe, non, les chauves sourds ne sont pas épargnés par ce calvaire. La plupart des coiffeurs parlent en effet couramment le langage de signes, c’est assez flagrant pour que nous n’ayons pas à revenir là-dessus, il suffit d’observer. En fait, seuls les chauves sourds et aveugles sont à l’abri des coiffeurs ; ils sont à l’abri de bien des choses, à vrai dire.

Le chauve commun, lui, souffre en silence, et s’en va chaque samedi chez le meilleur ami de sa femme comme on va à l’abattoir. Et il n’est pas rare qu’il doive subir deux séances par semaine pour maintenir sa calvitie dans les normes du bon goût. Plus que la charge financière, pourtant lourde, que cela représente, les chauves se plaignent de la souffrance psychique induite par ce traitement. Ils finissent par s’habituer cependant, et devant l’indifférence de leur entourage, comprennent qu’il vaut mieux se taire.

Il n’en reste pas moins que les statistiques du Ministère de la Santé sont formelles : en France, un homme chauve a quarante fois plus de chances de mourir chez son coiffeur qu’un homme chevelu.