Larousse : J’ai revu Les Misérables, hier.
Le Robert : Les Misérables ? De Hugo ? Trois tomes en Livre de Poche, avec la tranche bleue, c’est bien ça ? Mais ça fait des mois qu’on ne les voit plus ! Comment vont-ils ?
Larousse : Misérables, justement. C’est dur de voir des amis dans cet état. J’essayais de faire comme si de rien n’était mais la vérité est qu’ils me faisaient pitié. Tome 1 a perdu une cinquantaine de pages, Tome 2 est rouge violacé et gondolé comme un boyau de chèvre. Seul Tome 3 est à peu près présentable ; il dégage tout de même une odeur de renfermé comme ses frères. J’étais à deux doigts de m’évanouir.
Le Robert : Ma pauvre… Mais alors, où ont-ils passé tout ce temps ? Ce que tu me décris ressemble au syndrome du grenier.
Larousse : Pire. C’est au moment du déménagement, il y a trois mois. Voilà ce qui s’est passé. Ils étaient dans le carton des « à donner/à vendre »…
Le Rouge et le Noir : Hélas, nous avons perdu quantité de frères lors de ce déménagement. Combien de poches ont été vendus ou donnés ? Une véritable hécatombe.
Madame Bovary : Oui, bon, il n’y avait pas que du beau monde non plus. Je n’ai jamais été contre le départ des Alexandre Jardin par exemple.
Larousse : Oh, toi tu es jalouse parce qu’on ne t’emmène jamais à la plage. Bref, les pauvres Misérables étaient dans le carton fatal, et voilà qu’au dernier moment le patron a un remord : il les sort du carton et les pose sur le guéridon de l’entrée. Et il les oublie ! Surgit un déménageur qui les jette sans ménagement dans le camion de déménagement, justement. Le voyage a été terrible, un cauchemar, coincés entre le réfrigérateur et la machine à laver. Mais le pire était à venir, ils ont terminé, allez savoir pourquoi, au fond de la cave. Tome 1 a fait une dépression et a commencé à perdre ses pages. Tome 2 a glissé et a entraîné dans sa chute une bouteille de vin qui s’est brisée au sol. Il a plusieurs cicatrices en quatrième de couverture et, passez-moi l’expression, il pue l’alcool. Quant à Tome 3, il présente certes un aspect physique normal mais il ne dit rien. Complètement muet, bloqué. Il faut dire qu’il n’a jamais été lu, ni même ouvert.
Littré : Vont-ils porter plainte auprès de la L.P.L.A.A.P.B.L ?
Le Robert : La quoi ?
Littré : La Ligue pour la Protection des Livres contre les Agissements Abusifs des Propriétaires, Bibliothécaires et Lecteurs.
Larousse : Non, ils ne porteront pas plainte, ils n’en ont pas l’énergie, ils sont démoralisés. Car le cauchemar continue : ils s’en vont demain, le patron les donne à la bibliothèque de l’AVD, Asile de Vieux du Doubs.
Le Robert : C’est dur…